Résurgences gourmandes
Le chauffeur de taxi roulait aussi lentement qu’un gourmet déguste un dessert raffiné préparé par un grand maître pâtissier, et j’eus d’ailleurs le loisir de me remémorer, durant ce voyage interminable jusqu’à mon hôtel, par l’une de ces inexplicables résurgences de souvenirs enfouis, la fois où mes parents, lors d’un week-end prolongé grâce à l’un des ponts du printemps dont nous gratifie chaque année le calendrier durant lequel nous visitâmes Paris, la fois où mes parents disais-je, m’emmenèrent goûter chez Ladurée, le célèbre salon de thé sis rue Royale. Je fus d’abord émerveillé par le cadre raffiné de ce lieu dont la réputation avait, par le viatique d’un magazine féminin, atteint la banlieue bordelaise et touché ma mère par la même occasion. Cette dernière n’avait cessé, durant tout le trajet jusqu’à Paris, de parler de ce pâtissier hors pair dont les macarons rivalisaient d’inventivité. Elle en citait tous les parfums qui m’apparaissaient aussi surprenants qu’improbables : la rose, la fleur d’oranger, le cassis mélangé à la violette quand le boulanger à l’angle de notre rue ne proposait que des chocolatines – que les parisiens nomment pains au chocolat – et des tartes aux pommes. Mais la découverte de la carte nous réservait bien des surprises, et nous ne sûmes plus quoi choisir quand devant nos yeux s’étalèrent les noms évocateurs de l’Ispahan, du Mont-Blanc, de l’entremet Marie-Antoinette, ou encore les audaces du Saint-Honoré à la rose ou de la religieuse à la violette. Mon père fut le premier à arrêter son choix. Il commanda un banal éclair au chocolat, s’excluant de fait de l’émerveillement exagéré auquel nous nous apprêtions. Et en effet, à la suite des superlatifs dont nous fîmes usage pour décrire le plaisir généré par notre dégustation, mon père ajouta : « mon éclair aussi est très bon. »