Lettre 11
Géraldine Bouvier
Éditions Dès demain – Paris 6ème
Paris, ce lundi 27 avril 2009
Mon amour,
J'ai reçu votre télégramme comme le bouquet de roses d'un inconnu : même impression de brutalité heureuse, d'insolence et de provocation. L'annonce de votre retour imminent achève de me transformer en jouvencelle transie : l'éditrice fière et redoutée (celle qui, à bien des égards, vous agaça) a ses faiblesses...
Aussi j'espère que cette lettre vous trouvera à temps à votre hôtel. Au passage, petit polisson, nous avons bien reçu vos factures... Vous ne vous ennuyez pas : le Grand Hôtel de Stockholm ! Vous auriez peut-être pu attendre le Nobel, non... ?! Bah, après tout, vous avez raison. Je me souviens des premiers temps (vous me les avez suffisamment rappelés...), lorsque vous régliez vous-même l'addition au restaurant le jour où paraissait votre livre, qu'il fallait faire des pieds et des mains pour obtenir le remboursement d'un déplacement en train ou qu'on vous refusait ne serait-ce que dix exemplaires d'auteur supplémentaires... Mais je m'en souviens aussi parce qu'alors vous ne disiez rien : vous vous contentiez d'encaisser, vous faisiez la liste, mentalement, de ce qui vous apparaissait comme autant d'injustices. Mais on pressentait que la vengeance, un jour, serait terrible... ! Eh bien voilà, c'est chose faite !
Trêve de plaisanterie, j'ai passé une rude semaine, vous savez... Et je ne parle pas seulement de l'état de manque dans lequel vous me laissez, et qui me tenaille, jour et nuit. Je ne parle pas, même, de ma déception, et c'est peu dire, à la lecture du dernier manuscrit de Francesco Bigoudi... Allez, je vous le donne en mille, sa première phrase, accrochez-vous : "Je. Suis. Fou. De. Toi. Quand. Tu. Retires. Tes. Chaussures. Je suis fou de toi quand tu retires tes chaussures." Vous comprenez Marc, quand un manuscrit commence ainsi, Bigoudi ou pas Bigoudi... Enfin bref, tout cela est sans importance. Je n'ai fait qu'accumuler les déveines. Vol de ma carte bancaire mardi matin, chute de vélo mercredi après-midi (poignet foulé...), rattrapage fiscal jeudi, congé maladie de mon assistance vendredi ; ajoutez à cela que ma machine à laver le linge est littéralement partie en fumée samedi et que j'ai dû déjeuner chez ma mère dimanche midi, et vous aurez un tableau des réjouissances de la semaine...
Moralité : il est bien temps que vous rentriez, Marc ! Je vous préviens, j'ai envie, j'ai besoin d'être chouchoutée ! J'imagine déjà nos retrouvailles... Vous sonnez à ma porte, un immense bouquet de roses à la main, vous êtes beau, le visage auréolé encore de vos gloires suédoises mais qu'attendrissent déjà les perspectives de l'amour, vous me prenez dans vos bras, vous m'embrassez, j'ouvre une bouteille de champagne et nous parlons, de tout de rien de nous de vous, tous les menus potins qui nous amusent, puis vous m'emmenez dîner (d'accord, vous m'emmènerez dîner... ?) dans un beau restaurant où l'on sera tellement bien accueillis qu'on se croira attendus, et après Marc je vous donnerai carte blanche, vous ferez nous ferons ce que vous voulez... Ah Marc, m'entendez-vous ?! je suis si romantique !
Je vous embrasse. Brûlante, Géraldine.