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¿ Les 7 mains ¿
17 juin 2009

Céder aux coutures

Emmanuelle_mini
« Les hommes, disiez-vous ? » entonne Patricia.
« Je vous demande pardon ? »
 chantonne Caroline.

Et moi aussi bien sûr : je vous demande pardon ? C’est que, voyez-vous, ce n’est pas une comédie musicale que nous écrivons. Qu’elles aient toutes deux un joli timbre de voix me semble suffisant, nul besoin d’en faire une chorale. Et venez-en au fait, une fois de plus, vos intentions sont de plus en plus floues.

« Vous affirmiez tout récemment préférer les hommes : quel genre d’hommes ? » rognonne Patricia.

Rognonner.
Bel effort. Très recherché. Vous savez que vous parvenez quelquefois à me surprendre ? D’où sortez-vous ce patois-là ? …très bien, conservez vos mystères et leur inélégance, mais dites-moi, alors, ce qu’a répondu Caroline, en mugissant je suppose ?

Caroline ne répond pas tout de suite. Elle toise Patricia avec cet aplomb tout neuf qui lui va à ravir, et puis elle ramasse sans se presser ses chaussures, prenant bien garde de n’en oublier aucune. Il n’entre apparemment pas dans ses intentions de jouer les Cendrillon en semant derrière elle l’une ou l’autre de ses pantoufles de verre.

Vair. C’est du vair, pas du verre. De la fourrure, oui, à l’époque on pouvait se le permettre, la question de la préservation des espèces n’ayant encore effleuré personne. Perrault lui-même, je le reconnais, avait commis la faute en son temps et d’autres plus illustres ensuite. Du moins savaient-ils de quoi il relevait, ce qui n’est évidemment pas votre cas. Et qu’allait dire Caroline ?

Caroline ne va peut-être pas répondre, après tout. Elle a fait jaillir de nulle part une gigantesque lime à ongles et, ses souliers de fourrure attachés sur l’épaule, elle se manucure avec entrain.

Fort bien, faites-moi marcher. Mais n’oubliez pas que, pendant que moi j’avance, vous demeurez tout seul sur votre bord de route, en panne, pauvre petit monsieur, penché sur votre petite table avec votre petit crayon, besognant pour écrire votre petit, tout petit roman. Alors restons-en là si vous voulez, nous avons sans doute si peu à partager qu’il serait vain, de toute façon, d’essayer de faire œuvre commune, d’autant que les parts ne seraient pas égales. …J’ai de moi-même l’opinion que je crois mériter, je suis tout à fait d’accord avec vous, j’ai des antécédents. Nous nous retrouvons donc sur certains sujets.  Et je veux bien, une fois de plus, oublier vos simagrées littéraires. Contentez-vous de me suivre, je ferai de plus petits pas pour aller à votre rythme, et nous finirons bien par arriver quelque part. Rapportez-nous à présent les paroles de Caroline, car il faut , à l’évidence, que cette femme parle, vous ne pouvez décemment tenir le lecteur en haleine sur la base de ces pantomimes que vous la forcez à jouer pour votre seul plaisir. Avouez. Que c’est pour vous seul qu’elle danse sur le jatoba. Talon pointe talon fesse, voilà pour le moment quel est votre credo, pour autant que vous en ayez un, la chose n’est pas certaine, non, pas claire du tout. En quoi croyez-vous, dites-le franchement. Droit dans les yeux. Les miens, bien sûr, je n’en vois pas d’autres alentour. …nihiliste, je m’en serais doutée. Nous voilà bien. Mais écrivez, écrivez quand même, que je ne sois pas venue pour ce rien que vous défendez, fort mal d’ailleurs, on n’y croit pas. Écrivez, je vous dis. Il y en a peut-être qui attendent, sait-on jamais, que la langue de votre second couteau se délie. Pardon, c’est très mal dit, c’est ridicule, votre influence sans doute. Nous allons tous les deux nous reprendre et poursuivre : faites parler Caroline, et qu’on en finisse, ou mieux : qu’on  commence enfin.

« Un mètre quatre-vingt, des biceps pleins les manches… »

C’est sa réponse à Patricia ? Laquelle l’interrogeait sur son type d’homme ? D’accord, admettons, j’aime autant ne pas commenter ce choix. Mais ne plagiez pas, citez l’auteur, ou vous risquez des ennuis, on ne plaisante pas avec la propriété intellectuelle, par ici. Si vous empiétez sur celle de vos voisins, ne vous étonnez pas qu’ils vous le fassent payer. Vous serez laminé, ruiné, et discrédité à jamais. Attendez de vous être imposé comme auteur phare et surtout, écrivain polémique, avant de vous engager dans la valse des procès. Au petit point où vous en êtes, citez vos sources et rendez-leur grâces d’arroser votre prose, avec la modération qui s’impose.

Caroline ne peut s’empêcher de citer Nougaro. L’œil gourmand et la moue innocente, elle va jusqu’à le chanter. Jolie voix, tiens. Pas bien puissante, mais juste et assez grave pour taper dans le rauque sans glisser dans l’éraillé. Pas mal. Ouais, j’aime bien. Faudrait voir, peut-être, sur une guitare acoustique, un vieux blues ou du Cohen, si ça le fait…

Vous vous laissez aller! Sitôt qu’on vous lâche la bride, vous écrivez n’importe quoi. On va se croire entré, non plus dans un roman, mais dans les confessions indigestes d’un découvreur de talent qui jamais n’en découvrit trace et qui, sur ses vieux jours, se crut obligé de tendre l’oreille à tout afin de se convaincre qu’il avait vécu pour quelque chose. Et surtout, nous n’avançons pas. Pire, nous nous éloignons du sujet alors même que nous venions enfin de mettre le doigt dessus. Vous devez garder en tête la réalité suivante : le lecteur est affligé d’impatience chronique. Je parle du contemporain, bien sûr, de celui qui nous entoure ici et maintenant, encore qu’il se fasse rare. Le lecteur, pas le contemporain. J’aurais préféré avoir affaire à ce bon vieux lecteur d’antan, celui qui avait le temps et pas la télé, ce vieux lettré qui, même en société, pouvait s’affirmer poète sans avoir à subir l’indifférence générale. Il en voulait, ce vieux lecteur, il allait tout seul vers le livre sans qu’on le lui offre sur un plateau de télé, à peine lu mais déjà digéré et vidé de son sens pour autant qu’il en ait eu un jour. Ce lecteur-là, qui s’asseyait des heures pour adorer un livre, qui savait encore en parler des années après, ce lecteur-là, mon pauvre ami, n’est plus. Il est mort de vieillesse et d’ennui, car les livres d’aujourd’hui sont vieux et ennuyeux, même ceux écrits par des jeunes, écrits n’est pas le mot, on croirait des notes lancée à un dictaphones. Il ne faut pas généraliser, vous avez raison, c’est très mal. Tant pis, c’est dit, j’en avais besoin. Plus loin, peut-être, dirai-je du bien des écrivains d’aujourd’hui. Il n’est pas impossible que je glisse quelques noms au passage, vous écouterez bien et vous les griffonnerez sur le coin d’une page, pour ne pas oublier de les lire ensuite. Ils vous en remontreront, j’espère. Mais revenons aux hommes. Ceux de Caroline, votre Caroline. Grands et musclés, c’est ainsi qu’elle les aime, si je résume votre idée. Entre nous, vous êtes d’un banal…Provocation déguisée ? Leurre ? Piqûre anesthésiante avant le grand chambardement ? C’est étrange, je n’avais pas eu l’impression que vous donniez dans la littérature à risque. Mais allez-y, pourquoi pas, je vais essayer de vous suivre, pour une fois que c’est moi qui cours après vous, cela nous changera.

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Commentaires
M
Très beau passage sur le "lecteur d'antan", qui sait parler d'un livre des années après...<br /> <br /> Pour rester dans le jeu : <br /> "elle ramasse sans se presser ses chaussures, prenant bien garde de n'en oublier aucune" ; <br /> le "aucune" est étonnant, elle n'a que deux chaussures ; je dirais donc " prenant bien garde de ne pas en oublier une (ou : de n'en pas oublier une)"
M
C'est ma faute, c'est ma très grande faute. Tout sera remis en ordre en début de soirée, voire avant.
B
Oui, je m'en suis aperçu itou et je cherche à "réparer" le bug<br /> Merci
M
Je pense qu'il y a une erreur d'envoi. Ce texte-ci est celui de mercredi dernier, le 10 juin. Je viens de vérifier et le 10 juin est manquant dans la suite des textes d'Emmanuelle ; on passe du 3 au 17.
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