Lettre 18
Géraldine Bouvier
Éditions Dès demain – Paris 6ème
Paris, ce lundi 15 juin 2009
Oh mon amour, mon cœur a-t-il jamais battu de la sorte ? ai-je jamais été plus heureuse que depuis hier soir ? Je mesure dans mon âme et ma chair combien une telle renaissance, à mon âge, dans ma situation, était improbable. Vous savez, je me suis mariée très jeune, comme cela se faisait dans nos provinces, sans amour ou quasi, et alors que la simple idée de quitter un jour son propre village confinait au rêve et à l'utopie. J'ai eu la vie que j'ai eue, je n'ai ni à m'en plaindre, ni à en rougir. Ce que je fus explique ce que je suis, et ce que je suis peut me réjouir pour la seule raison que vous semblez m'aimer. Le désir que vous avez manifesté hier soir trouve en moi l'écho que vous savez parce que, sans avoir toujours osé me l'avouer, je l'éprouve moi-même depuis fort longtemps.
Ainsi nous allons nous fiancer, comme des jeunes gens ! Je ne saurais qualifier davantage et mieux que cette nuit à votre oreille l'ivresse que cette perspective fait naître en moi. C'est le luxe que nous nous offrons là, c'est l'impossible devenu réel ; bifurquer dans nos propres existences, mettre nos vies dans des rails qu'enfin nous aurons choisis, vivre enfin, vivre libre comme jamais nous n'aurions même osé le rêver à vingt ans. Oh je sais que je m'emporte mon trésor, je sais que les faits sont têtus, et toujours décevants, mais faisons au moins cela, tous les deux : prolongeons cet instant, faisons au moins semblant de croire qu'il est éternel, qu'il n'est de flamme qui s'éteigne sans souffler la vie elle-même ; redevenons ces enfants pour qui le monde n'est qu'à enjamber, chaussons à notre tour nos bottes de sept lieues ! Et après nous devrons en finir : vous m'épouserez !
A jamais votre Géraldine.