Lettre 13
Géraldine Bouvier
Éditions Dès demain – Paris 6ème
Paris, ce lundi 11 mai 2009
Ah mon poussin, quelle rigolade ! J'étais sûre que vous les adoreriez, ces Naullard ! Bon, adorer est bien grand mot, mais reconnaissez que nous avons là une manifestation assez grandiose d'un idéal-type weberien. Quoique. Je ne voudrais pas faire ma pédante, mais il y aurait comme un addenda à faire à la fameuse typologie. S'agissant du père Naullard notamment, Erich, qui a vraiment une gueule de synthèse, certes bien improbable, des quatre idéaux-types. Je pense en fait que c'est même ce qui pourrait caractériser sa bêtise : peu conscient de ce qui détermine ses actions et des finalités de ses comportements, tout en laissant paraître une assez grande maîtrise de ses gestes, en bon cynique soucieux de son aptitude à décider. Quel étrange, et, en vérité, assez détestable bonhomme. Avez-vous vu comme il est empli d'aigreur, méchant, perfide ? comme il puise son énergie à la rancœur et à la jalousie ? Sa sournoiserie n'a pourtant d'étalon que celle de sa grogniasse, plus pingre qu'une grenouille de bénitier. Quelle peau de vache, celle-là ! Et qui pue son Cacharel de supermarché. N'empêche, qu'est-ce qu'elle nous a fait rire, pas vrai ? Et elle se prend pour une intello ! sous prétexte qu'elle ponctue chacune de ses prises de parole du bout de sa bouche en cul de poule par un exubérant carpe diem ! Ah ça, c'était vraiment le slogan de la soirée ! Et cette affectation d'ouvriérisme teintée de fascination puérile pour la haute... Snobisme de la beaufitude, si vous m'autorisez cette association. Drôle de couple, pas vrai ? Vous ai-je dit que je les surnommais "Arrogance" et "Mauvais goût" - drôle, non ?
Enfin, je suis tellement heureuse que notre première sortie en couple ait été réservée à ces Dupont et Dupond de la cuistrerie littéraire ! Voilà qui place notre histoire sous les meilleurs auspices, n'est-il pas ? Nous n'avons pas fini de rire, vous et moi. On va faire le plein d'ennemis de tous ces cons qui, dès qu'ils ont un petit auditoire, ont l'air de dire : I've got the power ! La littérature est truffée de ces ânes, triples buses qui n'inventeront ni ne créeront jamais rien, persuadés d'avoir un public et de donner le ton sous prétexte qu'ils ont dix minutes d'antenne ou deux mille signes hebdomadaires dans un journal. Donc, c'est bien qu'on ait commencé par les Naullard, car ils sont comme les hérauts, les parangons de cette connerie-là Et encore ai-je trouvé qu'ils avaient fait preuve d'une certaine réserve. Ils auraient tout aussi bien pu (lui, surtout) vous donner des conseils d'écriture, vous faire des remarques de style, que sais-je encore. Finalement, ils se sont plutôt bien tenus : c'en est presque décevant.
Quant à vous, mon trésor, que vous étiez beau ! Vous avez vu les regards qu'elle vous lançait, la Naullarde ? Vous l'avez harponnée comme un petit brochet de rien du tout. Et ce pauvre Erich, avec sa gueule de maquereau, médusé de voir sa femme tomber sous votre coupe ! Cela dit, mon petit bonhomme, ne vous avisez pas de lui faire les yeux doux... De toute façon, mis à part la contemplation de son tortillement de popotin au moment de servir le café, je ne vois pas bien ce que vous pourriez lui trouver. Et ce parfum, mon dieu, ce parfum... ! Comment peut-on encore s'imbiber de Loulou au vingt-et-unième siècle ?! Çà, vous voyez, pour moi, c'est rédhibitoire. Cacharel, c'est bon pour les maquerelles ou les majorettes.
Oh la la, mais l'heure tourne ! Je vous abandonne, mon écrivain, j'ai un manuscrit sur le feu - vous savez, le Francesco Bigoudi... Il me harcèle, ce gommeux... Mais prochaine fois, promis c'est moi qui m'abandonne : entre vos bras...
Géraldine