Plaidoyer pour les criminels
Avez-vous remarqué à quel point les enfants sont naturellement attirés par les monstres, les dinosaures, les vampires, les robots les plus bizarres et les plus effrayants ? Plus c’est tordu, mieux c’est. Plus c’est baveux et plus c’est vert, plus c’est super... De la même manière, ils adorent les bandits, les pirates, les hors-la-loi, les vagabonds, les êtres uniques, les types non formatés, les super héros. Hélas, ils grandissent, et ils se laissent convaincre que dans la vie il ne faut pas faire de vagues, que l’isolé, le différent, le malformé, le pas-dans-les-clous, est forcément suspect. Suspect de quoi ? On en sait rien, mais ce flou même ne plaide pas en sa faveur…
Heureusement, quelques sales mômes parviennent toujours à se glisser entre les mailles du filet. Une fois adultes, ils continuent de poser sur le monde leur regard rieur, préférant définitivement le poivrot gouailleur et caustique à la dame patronnesse, la pute bossue au top modèle (qui monnaye elle aussi ses charmes mais en toute impunité), le chômeur à l’agent ANPE cravaté et dédaigneux.
Et quand il sent qu’il perd pieds, le sale môme devenu grand, quand il sent que la médiocrité environnante risque de le submerger, on ne peut que lui conseiller de se replonger dans le Plaidoyer pour les criminels d’Edward Carpenter, autre sale môme devant l’éternel : « Littéralement, le criminel est accusé et, dans le sens moderne du mot, convaincu de faire tort à la Société. Mais est-il réellement nuisible à la Société, ce prévenu de triste mine, aux vêtements sordides, ce malingre qu’on amène à la barre entre deux gendarmes ? L’est-il davantage que le magistrat en perruque qui prononce sur son sort ? C’est la question. Il a enfreint la loi, c’est vrai, et la loi est, en un sens, l’expression consolidée de l’opinion publique. Mais si personne n’enfreignait la loi, l’opinion publique s’ankyloserait, la société périrait. À vrai dire, la société change continuellement d’opinion. Comment alors savoir si elle a tort ou raison ? Le maudit de tel siècle est le héros de tel autre ».