Lettre 10

Géraldine Bouvier
Éditions Dès demain – Paris 6ème                             Paris, ce lundi 20 avril 2009

Bel ami,

Quel cauchemar que le temps ! Ne rentrerez-vous donc jamais de ces obscures contrées nordiques, où l'on vous fête sans doute comme le ferait un cocker au retour du travail ? Quelle idée de ma part d'avoir tout fait pour que vous soyez traduit en suédois ! Voilà bien ma récompense... Je me languis, je me languis... Songez que vous m'avez adressée votre lettre enflammée au moment même de votre départ ! Était-ce jeu de votre part ? inconscience ? cruauté ? Me voilà bien, pauvre gourde, transie dans l'attente après tant de semaines à méduser dans l'accablement et la détresse ! A mon âge tout cela n'est pas bien sérieux, n'est-ce pas ? J'ai un de ces retours d'adolescence à donner le tournis au plus illustre des derviches ! Je n'attends plus que le moment où vous apaiserez cet élan, cette flamme, cette folie, cette chose qui s'est immiscée en moi et qui réclame que vous vous y glissiez à votre tour...

Je travaille. Je tâche de me concentrer sur les innombrables manuscrits que nous recevons, ici, chaque jour ; je les parcours sans y prendre garde, déjà lasse de ce qu'ils contiennent - et plus encore de ce qui y manque. Je m'aperçois que j'y cherche vos mots, vos tournures, vos idiotismes, je m'aperçois que je vous y cherche, en vain, comme je vous cherche partout ailleurs. Je me surprends à me retourner dans la rue, un instant persuadée d'avoir entendu votre voix, ou à poser quelques secondes un œil soudain sur un homme qui aurait votre chapeau, ou la voussure caractéristique de votre dos lorsque quelque chose vous accable, ou cette espèce d'air éberlué que vous affectez parfois, à la terrasse des cafés ou dans les moments un peu vides de la vie. Est-ce à cela que je suis-je condamnée ? à vous chercher dans la foule ?

Ne me destinez pas à l'attente, Marc. Donnez-moi au moins vos dates de retour. Faites-moi un signe. Je vous promets que je ne serai pas seulement une amoureuse. Que je serai aussi une professionnelle. Que nous formerons, mieux qu'un couple, une équipe. Qu'il va nous arriver des choses, et parmi les meilleures. Que nous ferons de vos romans notre vie, et de notre vie votre roman.

Géraldine

PS : Savez-vous qu'on parle de vous pour le Grand prix de la société des gens de lettres ?

Comments

[Marc]

Les plus grands et les meilleurs esprits ont leurs absence !
PS : Reçu mon mail privé (zozo and cie...) ?

[Bertrand]

J'avais la tête branchée sur Flaubert suite à une bribe de discussion entamée sur un blog ami...
Bel Ami, bien sûr, Marc, Maupassant...
C'est une amie qui m'a réveillé par mail...
Quel sot !
Du coup, notre conversation est décousue...
Pardon

[Bertrand]

A n'en plus douter....

[Marc]

Ce qu'elle veut peut-être laisser entendre lorsqu'elle écrit que tous deux formeront peut-être, "mieux qu'un couple, une équipe"...

[Marc]

L'inconscient de Géraldine Bouvier est littéraire. Elle y puise ses références et ses réflexes. Aussi la connotation de ce "bel ami" porte-t-elle au doute ; s'agit-il de sa part d'un ultime petit coup de griffe jaloux, ou n'est-ce qu'une apostrophe amoureuse... ?