Virage
Une ligne droite, du sud vers le nord. Au bout de cette ligne droite, vers le nord, un virage. Dans ce virage, au bord de la départementale, une maison. Une ancienne grange transformée en habitation. Mal placée. Tout le monde le dit. C’est dangereux, une maison dans un virage au bout d’une ligne droite.
Lancée sur cette ligne droite, une voiture. À son volant, Matthieu. À ces côtés, sur le siège passager, Éric. Ils sont jeunes, ils ont bu. Ils roulent vite, trop vite. Éric le dit. Tu roules trop vite, Matthieu, on va se viander.
Dans la ferme, une famille. Au complet. Le père, la mère, les enfants. Pas tous ; ils attendent l’arrivée de l’ainée. Une fille donc. Dix huit ans aujourd’hui. Ça se fête. Alors on a fait venir aussi les tantes, les oncles et les cousins. Et la grand-mère bien sûr. La dernières des aïeuls encore en vie.
Ils sont tous réunis derrière le canapé. Le canapé se trouve devant la baie vitrée, ouverture opérée lors de la transformation de la grange en habitation et qui se trouve face à la route. Une baie vitrée face à la route, c’est dangereux avaient dit les gens du coin, mais les propriétaires avaient répondu qu’une baie vitrée devait être orientée vers le sud. Route ou pas. À cause du soleil.
Le soleil justement. C’est la fin du mois de septembre. Il est dix huit heures trente. Le soleil plonge vers l’ouest, disque rouge qui embrase l’horizon. L’Ouest c’est aussi la direction que prend le virage. Le virage au bout de la ligne droite. Le virage dans lequel se trouve la maison avec sa baie vitrée. Baie vitrée derrière laquelle se trouve une famille entière réunie pour faire une surprise à l’aînée des enfants de la maison qui fête aujourd’hui ses dix-huit ans. Ils sont tous là à attendre, leurs corps qui se découpent en ombres chinoises devant la baie vitrée et le ciel rouge feu. Avec les rideaux rouge sang qui tombent de part et d’autre, l’ensemble prend des allures de théâtre.
Le drame peut commencer.
(…) A suivre