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¿ Les 7 mains ¿
6 mars 2009

Chroniques d'un super-héros, 3

Fabrice_mini

Je dois donc parler des Chapuis. Nicole et Jean-Pierre Chapuis. Ils se sont installés il y a six mois, et, depuis six mois je ne dors plus, ou si peu. Ces abrutis font constamment couler de l’eau : douches, bains, vaisselle, machines à laver, ménage, toujours à des heures indues. Quand ils s’ennuient, qu’ils ne savent plus quoi faire, ils ouvrent un robinet et regardent le spectacle. Ces gens dilapident notre eau, bousillent nos réserves aquifères, de vrais criminels… J’avoue néanmoins que l’avenir de la Terre, le développement durable et la couche d’ozone importent peu quand il s’agit de mon sommeil. Passablement perturbé en temps ordinaire, celui-ci est littéralement massacré le mardi, jour où Monsieur Chapuis, qui se double d’un sportif, d’un Indiana Jones à la petite semaine, pratique l’escalade. Il se rend pour cela dans quelque gymnase suburbain où il transpire (de manière excessive). Rétif aux douches collectives, et sans doute un peu pudique, ce que je pourrais comprendre, Monsieur voisin a de quoi être complexé, il attend son retour au domicile pour laver son corps ingrat. Il est exactement 23h00 quand cet alpiniste en chambre ouvre sa porte et salue sa dulcinée. « Bonsoir chérie… » Je l’entends depuis mon lit. Il lui fait un smack baveux et se dirige vers la salle de bains. Monsieur se regarde dans la glace, fait tomber ses frusques sur le sol et monte dans la baignoire. Il y en a pour une demi-heure. Vas-y que je me savonne, je me frictionne, je suis un vrai maciste, un gladiateur invincible, je chante, je parade, je fais le beau.
Mon train de sommeil est englouti par ses cataractes, lessivé par son Niagara… Je fais des bonds dans mon lit et j’attends la suite. Car ce n’est pas tout, il y a une suite, et quelle suite... Après avoir replacé le pommeau de douche, séché sa peau acnéique truffée de furoncles, Monsieur Chapuis enfile ses chaussons et s’engage dans le couloir. Ce devrait être enfin la paix, ce moment magique où tout habitant, s’étant courageusement acquitté d’une journée de labeur, ayant fait ses courses, payé ses impôts, écrit à sa vieille mère esseulée dans quelque province éloignée, balayée par les vents, bref, au moment où même les guerres s’arrêtent, Monsieur Chapuis éteint l’interrupteur. Et c’est la barbarie. Je ne sais pas lequel saute le premier sur l’autre. L’impression est un peu confuse depuis ma chambre à coucher. Je l’imagine ôter lascivement sa petite culotte, bazarder son soutien-gorge et, libérant sa poitrine opulente, rejoindre son grimpeur nullement fatigué par sa séance. Il y en a pour des heures. Ça crie, ça gémit, le sommier a comme des hoquets. Je dois reconnaître que j’ai trouvé ça plutôt excitant la toute première fois. Puis je me suis lassé. Pas eux. J’ai souhaité à plusieurs reprises leur faire une réflexion quand je les croisais dans l’escalier, sans jamais oser. Comment leur dire qu’il fallait renoncer à l’orgasme ? Venant d’un célibataire comme moi, quadragénaire effacé au physique quelconque, le teint pâle, les épaules étroites, une paire de lunettes sur le pif, ils auraient pris ça pour de la jalousie, pour de l’aigreur sexuelle. Pourtant ce n’est pas le cas. Croyez-le ou non, j’avais eu mon lot du Kama Sutra avec Gilberte, peu de temps auparavant. Mais ils ne connaissaient pas Gilberte, ils se moquaient de mes insomnies.
Ils étaient bien partis ce soir-là et j’ai compris que les galipettes allaient durer plus que de coutume. Je commençais à bouillir, à m’échauffer. Je repassais dans ma tête les événements de la journée, la tête de Madame Humbert, que son mari devait consoler à l’instant même, les regards des collègues, la déférence des passagers du RER, la banlieue rayonnante… Pourquoi s’arrêter en si bonne route ? Qui m’interdisait de continuer ? J’ai enfilé un jean et je me suis engagé dans l’escalier. On discernait leurs râles dans tout l’immeuble, à ces primates. On avait l’impression d’être dans La Guerre du feu. Je suis parvenu sur leur palier un peu essoufflé mais déterminé. J’ai laissé mon cœur se calmer et, après une pause symbolique, la tachycardie s’estompant, asséné des coups violents sur la porte. Les cris ont cessé. Moment de stupeur. J’ai perçu des chuchotements. Trois nouveaux coups. « J’y vais… » Des bruits de pas en direction de l’entrée. La porte s’est ouverte, dévoilant Monsieur Chapuis en caleçon, les cheveux en bataille. Il a tenté d’ouvrir la bouche, mais je ne lui ai pas laissé le temps de placer un mot. Voilà exactement ce que je lui dis : « C’est fini maintenant, Chapuis, les ablutions nocturnes… Vous m’avez bien entendu : fini ! Il faudra vous laver le matin ou arrêter de grimper la nuit. D’ailleurs, pour ce qui est de grimper, il faudrait aussi être discret avec votre femme, on n’en peut plus d’entendre Raquel Welch hurler : mettez-lui un coussin sur la tête, ça vous évitera de voir sa tronche, ou retenez-vous ! »
C’est sorti comme ça, d’un trait, sans que je contrôle quoi que ce soit. Je ne sais pas qui parlait pour moi.
J’aurais tellement aimé être filmé, j’aurais souhaité qu’on m’enregistre, frappant à la porte de Monsieur Chapuis, lui claquant le bec ; j’aurais dû convoquer une équipe de techniciens, caméras, lumières et micros à l’épaule, pour immortaliser l’exploit… Ah ! ça devait être quelque chose, quel dommage qu’on ne puisse pas se voir dans ces moments-là.
J’ai regagné mon domicile avec calme, dignité, et me suis resservi un verre de Porto. Ma victoire m’avait tellement excité que je n’ai pas réussi à trouver le sommeil : qu’importe, j’investissais dans mes nuits futures. Je m’endormais enfin quand le réveil a sonné : il était 6h45.

(…) A suivre

7_rouge_vif

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Commentaires
N
Ouais, de la dentelle là que vous nous offrez Monsieur Lardreau.<br /> <br /> Petrovitch est toujours en surtension, je vous en prie, ne lui fichez pas de nouveaux plombs, on apprécie son hyper-lucidité et sa myopie, son nombrilisme fragile et touchant, sa solitude génitale et congénitale, son univers clos mais borderline, ses à-coups d'adrénaline, sa conscience de soi à géométrie variable...<br /> <br /> Bref on vous attend pour vous lire à nouveau le vendredi, attente partagée avec celle de mon plat de morue au câpres, celle de ma confesse à la paroisse de Clichy, celle de la virée avec ma femme au Marché Lidl, de la sortie du dernier Uomo, de la lecture du dernier Grognard, de la visite chez mon dentiste, du repas à gogo chez les Frères Tang, de la visite avec ma Logan au tunnel de lavage du Total à l'entrée du périph, de la lecture du supplément de l'Equipe, de mon prochain sudoku niveau 5, de la visite du releveur maghrébin des compteurs d'eau, du dépôt des mes ordures dans le container vert à couvercle jaune canari, de mon rasage hebdomadaire, on vous attend Monsieur Lardreau vous Petrovitch et tous les autres petits et grands héros de votre univers de dentelles.<br /> <br /> A Vendredi prochain. Narval.<br /> <br /> <br /> P.S Par vous, suite à la lecture de votre interview, paru dans le dernier Transfuge, où vous officiez avec talent comme critique et passeur, du Goncourt 1973 pour son Ogre que j'avais dévoré avec plaisir, je m'en souviens encore après un espace temps de 35 ans, je n'ai plus rien lu de cet auteur depuis tout ce temps, j'ai dévoré "Le juif pour l'exemple" le dernier récit de Jacques Chessex, cet auteur suisse vaudois qui a la plume franche et qui sait ce qu'être un agent de fond veut dire.<br /> <br /> Si son récit, que je recommande aux lecteurs éventuels de ce com,relatant avec force et détails un sordide assassinat, à caractère antisémite commis en 1942, dans un petit bourg de campagne vaudoise, d'un marchand de bétail juif par un groupe de demeurés entraînés par deux ou trois fanatiques hitlérien, prétendant offrir ce mini-holocauste au Führer pour son anniversaire, assassinat particulièrement bien décrit par Chessex, qui nous raconte le guet-apens et le découpage du cadavre en morceau,si ce récit m'a plu, les propos et l'image que nous donne l'écrivain suisse dans votre interview m'a laissé songeur.<br /> <br /> L'auteur avait 8 ans à l'époque des faits et prétend avoir été profondément traumatisé par cette histoire au point que près de 70 ans après, il ressente un besoin profond de s'acquitter d'une dette de témoignage qu'il devrait à la victime et au peuple juif montrant ainsi sa nature profondément philo-sémite.<br /> <br /> L'auteur semble prétendre que ce crime préfigure Auschwitz.<br /> Il me semble que la mode d'afficher chacun son juif dans l'avalanche de ce thème dans la litérature du témoignage pour mémoire, le succès qu'en général ce type de démarche entraîne pour les éditeurs, surtout quand l'angle de vue est original, ce qui est le cas ici, est une des motivations jamais avouée de ce genre de livre. Mais paraît-il qu'il ne faut pas en parler sous cet angle. <br /> <br /> Pourtant cette Suisse campagnarde et les écrivains de ce pays ne se sont pas vraiment manifestés il y a quelques années sur le scandale international révélé par l'affaire des fonds juifs en déshérence dans les coffres des banques de ce pays, fonds appelés ainsi parce qu'appartenant aux victimes de l'Holocauste et jamais rendu par les banquiers suisses aux victimes et à leurs familles.<br /> <br /> Bon, j'arrête ici, on va me reprocher sinon d'amener dans ce blog, qui se veut partiellement retiré du bruit du monde, mon propre bruit parasite, mais il me semble que je ne fais humblement qu'essayer de déparasiter le bruit ambiant. Je voulais juste vous communiquer ce malaise que j'ai ressenti, entre le "à chacun son juif pour mémoire", le succès de ce "Juif pour l'exemple", et les motivations de l'auteur que vous avez si bien recueillies.<br /> <br /> Lisez le"Juif pour l'exemple" bon coup de poing sur l'étal du commerce de la haine.<br /> <br /> A vendredi prochain. Narval.
B
Oui, merci, je me sens quelque peu vengé de tous les Chapuis du monde qui ont pu empoisonner mon plaisir d'exister.
D
sourire, et dose de bonne humeur à consommer sans modération .... Bien à vous Fabrice ....
A
je ris comme une malade .....les blas blas un autre jour...Pas le temps...j'ai des blaireaux à nourrir à midi mais je suis de très bonne humeur. Merci à ceux qui peinturlure notre vie en rose...Aglabisous
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