Lettre 2
Géraldine Bouvier
Editions Dès demain – Paris 6ème Paris, ce lundi 23 février 2009
Marc,
Je ne pensais pas, en vous faisant part, la semaine dernière, de ma déception à la lecture de votre manuscrit, déclencher de telles foudres… Dieu sait pourtant que j’ai une certaine pratique des auteurs et de leurs susceptibilités ! Je constate toutefois que ce que vous me reprochez ne tient pas tant à ce que je dis de votre texte qu’à la manière dont vous percevez nos relations - et dont, plus généralement, vous percevez les relations entre un auteur et son éditeur. Je ne vous ferai cependant pas l’affront de vous dire que ce débat date un peu, et qu’au moment où l’édition numérique et les agents littéraires redessinent le paysage littéraire, bref au moment où une nouvelle économie du livre prend son envol, vos remarques apparaissent un tantinet lestées de désuétude. Ne croyez pas pourtant que je sois insensible à l’éclat et au panache de cette relation singulière, dont vous écrivez d’ailleurs très justement, quoique non sans pompe, que « sa profonde poésie tient aussi à sa structuration paranoïaque. » Ne pensez pas non plus que j’éprouve quelque embarras à ce que vous me rangiez du côté des Modernes – ceux que vous qualifiez élégamment de « crétins doublés d’incultes » : le moderne, cher Marc, n’est pas seulement celui qui « court après son temps » : c’est aussi celui qui sait le lire et le décrypter, afin de l’anticiper et d’en tirer le plus grand profit.
J’entends que vous vous agaciez de quelques-unes de mes remarques, et je confesse ne pas vous avoir ménagé. Tout comme j’admets quelques duretés inutiles. Mais acceptez en retour d’entendre ce que je vous dis, et de me considérer aussi comme le porte-parole de votre lectorat. Le rôle de l’éditeur n’est pas seulement « de contribuer à la structuration d’un texte avant de l’estampiller », mais bien de créer de la valeur ajoutée et de lui donner toutes ses chances auprès d’un public aussi vaste que possible. Naturellement, je respecte les particularités, voire les particularismes, de tous mes auteurs. Mais ceux-là, pardonnez-moi, ont une surprenante propension à se prendre pour les meilleurs exégètes de leurs œuvres. Or c’est faux, et vous le savez ! Ce qu’ils prennent pour une marque d’originalité, un trait singulier (et pourquoi pas un trait de génie ?!), n’est le plus souvent qu’une cocasserie destinée à se faire valoir : en vérité, il y a toujours un peu de vanité dans le désir de se distinguer. Et ne me répondez pas que je vous accuse ici de vanité : je sais que, contrairement à maints de vos collègues, vous ne courez pas après un anti-conformisme de façade. Nous vous lisons, je vous lis, non seulement avec la plus grande ouverture d’esprit et les préjugés les plus favorables, mais avec le souci chevillé au corps de respecter votre écriture. Je ne souhaite que vous aider à la nettoyer de ce qui pourrait l’altérer. Si vous ne comprenez ou n’acceptez pas la dimension artistique intrinsèque au rôle même de l’éditeur, alors, que cela soit avec moi ou avec quiconque, vous ne parviendrez qu’à nourrir une relation de défiance dont je peux vous assurer que vos textes seront les premiers à pâtir.
J’aurais pu faire profil bas, cher Marc, après votre réponse. J’aurais pu m’incliner devant votre agacement, faire comme si de rien n’était. J'ai fait le choix, peut-être ingrat, de la franchise.
Dans l’impatience de vous lire,
Géraldine.