Au seuil
L’homme est vieux, si vieux que je ne peux lui donner d’âge, si vieux qu’il ne peut plus mourir, seulement disparaître. Il se tient là devant moi, devant la porte d’entrée de la maison dans laquelle je vis, un pied sur le trottoir l’autre sur le seuil. Son visage est émacié, son teint blafard et valétudinaire. La gravité tire ses traits. Sa bouche, marquée par la lassitude, tente un sourire. Je connais ce sourire, ce regard. Il me dit que ça lui fait quelque chose d’être ici après toutes ces années. Ses mains dépassent des manches de son manteau sombre, blanches et sèches. Ses doigts sont comme des cierges d’église brisés dont les fragments restent solidaires. Les tendons de ses doigts transparaissent sous la peau cireuse et tendue. La peau tâchée de noir, les ongles en deuil. Au bout des doigts de sa main droite se trouve un pli volumineux. Il m’est destiné, je crois. Je ne peux pas dire qu’il le tienne, ce pli. Il lui échappe presque. Ses doigts sont trop faibles pour le tenir trop longtemps. Pourtant, il est là, au bout de ses doigts. D’un regard, il me fait comprendre qu’il faut que je fasse vite, que le temps est compté. Mais je préfère fermer la porte. Je ne veux pas savoir. Je n’aurais pas dû le prier de venir. Mais l’homme insiste. Il sonne encore une fois, puis plus longuement. J’ouvre à nouveau la porte, tends la main, prends l’enveloppe. Et il part sans un mot.
Je reviens à ma table de travail, j’hésite longuement, finis par ouvrir le pli.
Il ne contient que des pages blanches.